Une Lettre de vous - Jessica Brockmole -
traduit par Valérie Bourgeois
éditions Presses de la cité, 2014
"Hier soir, je me suis assise dehors pour regarder la lune se lever, avec mon carnet et mon porte-plume sur les genoux. Le parfum des digitales pourprées et du chèvrefeuille flottait dans le jardin, accompagné bien sûr par l'odeur âpre de la mer. Il faisait même assez frais pour que je ne sois pas embêtée par les moucherons. Màthair m'a apporté un Thermos de thé avant d'aller se coucher et je suis restée là toute la nuit. J'avais du thé chaud, mon carnet. Que demander de plus ? L'air semblait si prégnant, si poignant. C'était un de ces soirs qui, en Ecosse, vous font comprendre pourquoi certains croient aux esprits et aux lutins. J'étais dans l'expectative. J'attendais quelque chose, là, au-dehors, que je ne suis pas sûre d'avoir trouvé. Quand mon père est sorti traire les vaches au matin, il m'a surprise endormie sur le banc à côté de la maison "toute couverte de rosée comme une fée", a-t-il dit." (Pages 100-101)
"[...] ces poèmes, je les compose à la faible lueur d'une bougie, à l'heure où les oiseaux se perchent dans le chaume au-dessus de moi. Je frotte mes yeux fatigués pour lire tes lettres, recroquevillée près de la fumée tourbillonnante d'un feu de tourbe. Pour mes voisins, je suis "cette drôle de fille", Elspeth, celle qui se rend en ville avec un livre à la main plutôt qu'avec un fuseau." (Page 116)
"Je me lance alors dans un conte de fées en regardant ses yeux s'écarquiller dans les moments effrayants et se plisser lorsqu'elle rit. C'est merveilleux, cet étalage brut d'émotions sur le visage d'un enfant. Elle n'essaie pas de masquer ses sentiments, elle vit pleinement tout ce que je lui raconte." (Page 46)
"Je trouve si étrange de relire ces poèmes composés avant la guerre. Les thèmes que j'explore ont tellement changé depuis. Il n'est plus question de fleurs, de nuages ou de journées d'été, mais de solitude, de peur, d'hivers sinistres." (Page 88)
"Je suis sortie faire les boutiques aujourd'hui. Davey, pourquoi ne m'as-tu pas dit qu'il existait tant de livres ? Alors que je marchais dans la ville, je suis tombée sur une artère qui regorgeait de librairies. Tu vas peut-être rire, mais même si j'avais laissé libre court à mon imagination, jamais elle ne m'aurait donné à voir un magasin rempli de livres et uniquement de livres. J'ai peur d'avoir incarné la paysanne de province dans toute sa splendeur, plantée dans l'entrée de Foyles, mon regard ébahi embrassant les étagères qui se succédaient sans fin. Je t'assure que je me suis perdue une dizaine de fois. J'ai passé le restant de la journée à déambuler d'un bout à l'autre de Charing Cross Road et à plonger dans toutes les librairies que je croisais - et dont je ne sortais jamais avant d'avoir acheté au moins un ouvrage." (Page 119)
"Ils se ressemblaient plus qu'ils ne l'admettront jamais. Enfants, ils étaient les rêveurs de la famille, tous deux incapables de se satisfaire d'une vie dans une petite ferme. Tous deux assoiffés de connaissances - ils lisaient et relisaient tout ce qui leur tombait sous la main. Tous deux les yeux rivés sur l'horizon, comme s'ils cherchaient un moyen de le toucher. Et tous deux assurés de perdre leur coeur à jamais quand ils le donnaient. [...] Mais la différence, c'est que Finlay n'était poète que dans l'âme. Elspeth, elle, avait la poésie chevillée au corps, jusque dans ses doigts." (Page 193)